Mettre en place un régime d’épargne extrême pour atteindre l’indépendance financière à 40 ans ? Si ce genre de projet, inspiré par le mouvement FIRE (Financial Independance, Retire Early), n’est pas nécessairement commun, il n’est pas non plus hors de portée, disent des experts, qui formulent toutefois une mise en garde sur l’importance d’en comprendre les conséquences.
Car avec une espérance de vie plus ou moins lointaine, les facteurs qui peuvent influencer les rendements du capital accumulé et le niveau de dépenses sont multiples. À commencer par l’évolution des prix à la consommation, les événements imprévus, les aléas du marché, la santé, etc.
« C’est une planification de retraite comme les autres », dit toutefois Éric Brassard, comptable et conseiller en placement au cabinet Brassard Goulet Yargeau. « La seule chose, c’est que c’est un choix personnel. Les gens m’appellent parfois pour savoir s’ils peuvent prendre leur retraite. Je leur demande si c’est leur seule question, et je leur dis que la réponse, c’est “oui”. On peut toujours la prendre, notre retraite, tout est une question de coût de la vie. »
Portrait changeant
Historiquement, le cas d’une retraite classique était précédé d’une quarantaine d’années de travail, suivies d’un arrêt à 65 ans puis d’une dizaine d’années à recevoir des revenus provenant d’un régime d’employeur et des régimes publics. Les dernières années ont imprimé une transformation majeure marquée par l’allongement de l’espérance de vie, le recours croissant aux régimes personnels comme le REER et le CELI, la disparition graduelle des régimes à prestation déterminée et la récente bonification des régimes publics.
Les habitudes d’épargne sont toutefois moins bonnes que certains pourraient le croire. Selon le recensement 2016 de Statistique Canada, à peine 35 % des ménages du pays ont cotisé à un régime enregistré d’épargne-retraite (REER), comparativement à 40 % qui ont fait la même chose dans un compte d’épargne libre d’impôt (CELI). Enfin, le tiers des ménages a cotisé à un régime de pension agréé, dont le revenu à la retraite est constitué de prestations déterminées ou de cotisations déterminées.
Préoccupés par les effets potentiels des revenus de retraite trop bas sur le bien-être individuel et collectif, les gouvernements ont d’ailleurs reconnu il y a quelques années que la protection de base des régimes publics était devenue nettement insuffisante. Au terme de longues discussions entre Ottawa et les gouvernements provinciaux, la protection a donc été repensée de manière à couvrir 33,33 % des revenus gagnés pendant la carrière, au lieu de seulement 25 %. Le maximum des gains admissibles est passé de 54 900 $ à 62 500 $. Le plein effet ne se fera sentir qu’en 2065, cependant. Et les rentes du système public, rappelons-le, sont toujours indexées.
Une personne qui viserait un niveau de dépenses annuelles de 25 000 $, ce qui proviendrait d’une ponction de 4 % dans un capital accumulé de 625 000 $, devrait absolument tenir compte des effets de l’inflation, mentionne Dany Provost, directeur de la planification financière et de l’optimisation fiscale chez SFL Expertise. « Une somme de 25 000 $, si elle n’est jamais indexée, dans 30 ans ça pourrait valoir 12 000 $. […] Il faut que le portefeuille fasse plus que 4 % pour se protéger de l’inflation, ou alors il faut retirer plus que 4 % pour maintenir son train de vie. »
Liberté de travailler, ou pas
Autrement dit, une personne doit avancer dans le projet en tenant compte de tout l’éventail des facteurs qui peuvent influencer le plan, aujourd’hui et plus loin dans l’avenir. « On n’est pas là pour juger, mais il faut que les gens prennent la décision en toute connaissance de cause. Tu veux le faire ? Alors voici les implications. […] Il faut avoir le portrait d’ensemble jusqu’à un âge très avancé de leur situation. Parce que s’ils ont encore le choix de retourner travailler, un jour ils ne l’auront plus, ce choix. »
Cette liberté de travailler pendant que l’esprit et le corps le veulent bien est un facteur important dans l’accumulation de capital. Au cours de l’entrevue, Éric Brassard raconte avoir dit à un client qu’il pouvait tout à fait prendre sa retraite maintenant s’il était prêt à réduire son rythme de vie de 15 000 $. « C’est le principe des vases communicants. Quand je travaille une année de plus, c’est une année de moins pour dépenser et une année de plus pour épargner. Plus on travaille longtemps, moins c’est compliqué de gérer la retraite. Mais il faut travailler. »
C’est le principe des vases communicants. Quand je travaille une année de plus, c’est une année de moins pour dépenser et une année de plus pour épargner. Plus on travaille longtemps, moins c’est compliqué de gérer la retraite.
Il n’est pas impossible, évidemment, que certaines dépenses disparaissent en cours de route. Le prêt hypothécaire, par exemple, ou les dépenses liées aux enfants. Au final, le plus important sera de concevoir le plan avec du concret.
Une indépendance financière rapide a ceci de positif qu’elle fait la promotion de l’importance de rembourser les dettes et de favoriser une épargne élevée, dit Cimon Plante, gestionnaire de portefeuille à la Financière Banque Nationale.
Idéalement, ajoute-t-il, un projet de retraite hâtive pourrait même viser l’accumulation d’un pécule qui irait au-delà de la couverture des besoins actuels. « Je devrais viser un style de vie qui serait théoriquement supérieur à celui d’aujourd’hui. Comme ça, si un jour on voit de l’inflation, dans différents domaines de la vie, j’ai de la marge de manoeuvre. » Une personne aujourd’hui âgée de 28 ans en aura près de 80 en 2070. « Quels seront les coûts des soins de santé ? Et dans l’alimentation ? »
L’importance de l’épargne est plus rare chez les jeunes, mais se manifeste généralement de façon marquée dans la quarantaine, dit Dany Provost. L’heure d’un éventuel arrêt de travail approche et certains travailleurs craignent de devoir remplir le bas de laine plus vite qu’avant pour se donner une chance de réussir.