La loi donnant naissance au compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP) a été sanctionnée le 15 décembre dernier.
Ce nouveau régime enregistré est donc tout frais sorti du four. Considérant qu’il y a eu des changements importants entre la proposition initiale et le texte de loi, nous vous invitons à considérer la date de parution des textes que vous lirez sur thème. Voici les principaux traits ainsi que mon avis sur ce régime.
Le CELIAPP est une espèce d’hybride entre le REER et le CELI où on retrouve le meilleur des deux mondes:les cotisations sont déductibles du revenu et les retraits ne sont pas imposables. Les chanceux qui se qualifieront pourront profiter de ce nouveau régime d’accumulation, dont l’entrée en vigueur officielle se fera le 1er avril prochain. Il sera offert aux résidents canadiens admissibles âgés de 18 à 71 ans et aura une durée de vie maximale de 15 ans.
Les cotisations maximales sont fixées à 8 000$ par année et à 40 000$ pour l’ensemble des CELIAPP d’un particulier, le cas échéant. Comme pour le REER, on ne sera pas obligé de déduire les cotisations dans la même année où elles sont faites. Comme pour le CELI ou le régime enregistré d’épargne-études (REEE), les cotisations d’une année civile comptent pour cette année (pas de période de 60 jours l’année suivante).
Si on ne cotise pas au maximum dans une année, des droits de cotisation sont générés jusqu’à un maximum de 8 000$pour les années ultérieures. À l’instar du CELI, les cotisations au nom du conjoint ne sont pas permises directement. Si des sommes sont prêtées ou données au conjoint afin qu’il cotise à son propre CELIAPP, les règles d’attribution ne s’appliqueront pas.
Le rendement accumulé n’est jamais imposable, ce qui fait que tous les retraits admissibles sont entièrement à l’abri de l’impôt.
En ce qui a trait aux règles d’admissibilité, elles sont semblables à celles du régime d’accession à la propriété (RAP). Pour se qualifier pour l’ouverture d’un CELIAPP, une personne ne doit pas avoir habité une résidence dont elle ou son conjoint a été propriétaire dans l’année de l’ouverture et dans les quatre années civiles précédentes. Pour qu’un retrait soit admissible, toutefois, seule la personne qui fait le retrait doit se qualifier, au RAP où le conjoint doit également se qualifier. Le test d’intention d’habiter la résidence et le délai de 30 jours après le déménagement pour faire un retrait sont identiques à ceux du RAP.
Après qu’un retrait admissible a été effectué dans le CELIAPP, on peut continuer à y verser des cotisations, mais elles ne seront plus déductibles et ne donneront plus droit à un retrait admissible. À noter qu’un retrait, qu’il soit admissible (non imposable) ou non, ne génère pas de droits de cotisation supplémentaires l’année suivante, comme c’est le cas pour le CELI. Les institutions financières doivent effectuer une retenue à la source, égale à celle des REER, pour les retraits non admissibles.
En effectuant un retrait admissible pour la première fois, on doit fermer le CELIAPP au plus tard dans l’année civile qui suit si la période de 15 ans (ou l’âge de 71 ans) n’arrive pas avant. De plus, le CELIAPP ne pourra servir qu’une seule fois dans la vie d’un individu.
En outre, on peut transférer les sommes accumulées dans un CELIAPP à un REER (ou un FERR) à n’importe quel moment dans la vie du CELIAPP sans que cela nuise aux droits de cotisation au REER. Les transferts dans l’autre sens (d’un REER vers un CELIAPP) sont également possibles, sans aucune incidence fiscale, dans la mesure où ils sont limités aux droits de cotisation du CELIAPP (8 000 $ par année et 40 000$ à vie). S’il s’agit d’un REER de conjoint, les sommes doivent être «libres», c’est-à-dire que la règle des trois 31 décembre doit être respectée.
En cas de décès, on pourra rouler le CELIAPP à un conjoint survivant admissible à une ouverture de CELIAPP de la même manière que pour un CELI, c’est-à-dire soit en désignant un «titulaire remplaçant» s’il s’agit d’un contrat de rente émis par un assureur, soit par un choix conjoint des parties impliquées. Si le conjoint n’est pas admissible à une ouverture de CELIAPP, les sommes pourront être transférées à son REER ou son FERR.
En cas de divorce, on pourra également procéder à un transfert direct entre ex-conjoints d’un CELIAPP vers un autre CELIAPP, REER ou FERR. Finalement, on pourra combiner le CELIAPP avec le RAP. Par conséquent, les montants admissibles pour une personne pourront être le solde total de son CELIAPP plus 35 000 $ provenant du RAP (pour l’instant) de son REER.
Réflexions sur le CELIAPP
Ce qui me frappe avec le CELIAPP est sa générosité. Il ne manque qu’une subvention pour qu’il ait carrément tout pour plaire. Alors que j’ai moi-même écrit dans le passé sur la mort du RAP, on se rend compte que, avec les dernières modifications, le CELIAPP viendra simplement s’y ajouter sans le faire mourir.
Afin d’offrir une telle générosité en bonifiant le RAP, il aurait fallu non seulement toucher aux limites du RAP, mais également annuler l’obligation de rembourser les sommes sur la période de 15 ans. C’est la grande différence entre le RAP et le CELIAPP. Cependant, cette façon de faire aurait été, à mon avis, plus simple à comprendre et à appliquer pour les autorités.
Or, la générosité du CELIAPP me dérange particulièrement dans le cas des personnes qui ne l’utiliseront pas aux fins pour lesquelles il a été conçu, c’est-à-dire pour s’acheter une première propriété. C’est le fait de pouvoir simplement transférer l’argent dans un REER sans avoir de droits de cotisation qui m’agace.
Toute personne qui se qualifie à un moment donné – sauf les personnes qui ont l’intention de s’acheter une première résidence dans plus de 15 ans – devrait donc s’ouvrir un CELIAPP et y cotiser 8 000 $ par année au lieu de cotiser à son REER. De cette façon, en n’utilisant pas les sommes pour s’acheter une propriété, cette personne aura simplement créé 40 000 $ de droits de cotisation supplémentaires à son REER. On aurait pu simplement limiter un transfert aux droits de cotisation au REER comme on le fait pour le REEE. Évidemment qu’une personne qui ne cotise pas au maximum à son REER ne sera pas avantagée par cette règle, mais ce sont justement les personnes plus fortunées qui seront avantagées.
Un autre point qui me pose problème est le fait que, comme le REER, une personne qui devient non-résidente pourra continuer à cotiser à son CELIAPP. Si elle déclare certains revenus au Canada, par exemple des revenus de location, elle pourra bénéficier de la déduction. Mon problème vient du fait que si cette personne redevient un résident canadien –ce qui n’est pas si rare –, elle sera admissible au retrait non imposable même pour les montants déposés pendant sa période de non-résidence.
Il y a aussi le fait que, contrairement au RAP, le conjoint ne contamine pas l’admissibilité d’une personne au moment de faire un retrait. Avec un montant investi de 40 000 $ (pour l’instant aucun mécanisme d’indexation n’est prévu, mais il y aura assurément des indexations ponctuelles), plusieurs CELIAPP auront une valeur de plus de 100 000 $ après 15 ans. À 50 % d’imposition (on parle de TEMI, taux effectif marginal d’imposition), on évite un impôt de 50 000 $. Pour les personnes ayant des enfants ou encore celles touchant les suppléments fédéraux, 50 % peut être conservateur.
Avec de tels montants en jeu, certains couples s’organiseront peut-être pour maximiser les possibilités de faire un retrait non imposable en transférant possiblement, au préalable, la propriété de la résidence à l’un des conjoints seulement. Pour les couples mariés, cela ne change souvent pas grand-chose à cause du patrimoine familial. Pour les personnes vivant en union de fait, si l’autre conjoint n’a pas l’argent pour payer sa part, la compensation devra faire l’objet d’une clause dans la convention d’union de fait.dans la convention d’union de fait. Le retrait non imposable servira alors au conjoint pour reprendre, souvent en partie, sa propriété initiale. Des planifications agressives sont donc certainement à prévoir à ce chapitre, à moins que les règles ne se resserrent.
En cas de séparation, un conjoint peut profiter du RAP après sa séparation même s’il était propriétaire de la résidence qu’il habitait. Aucune flexibilité du côté du CELIAPP à cet égard.
Alors, le CELIAPP, il est plus généreux ou non?
Pour ce qui est du patrimoine familial, le CELIAPP n’en fera vraisemblablement pas encore partie. Cependant, le REER en fait partie et un CELIAPP pourra être constitué, en tout ou en partie, de transferts provenant d’un REER… Vous voyez le défi?
Je pense que l’État québécois devra se pencher sur la pertinence de considérer le CELI et le CELIAPP dans le patrimoine familial. Bien des personnes investissent autant d’argent dans le CELI que dans leur REER, alors pourquoi ne pas considérer le CELI et le CELIAPP comme des régimes de retraite ? D’ailleurs, le pendant américain du CELI, son inspiration, est le Roth IRA (un type d’Individual Retirement Account)…
Comme nous l’avons vu, le CELIAPP est un nouveau régime qui comporte des avantages, mais aussi des incohérences par rapport aux outils auxquels il emprunte des règles, le CELI et le REER, particulièrement avec le programme RAP. Espérons que ces incohérences ne seront pas un obstacle trop important à l’actualisation de l’intention du législateur…
Merci à Luc Godbout et Natalie Hotte pour leur éclairant texte «Les paramètres du nouveau compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP)», une publication de janvier 2023 de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.