Mourir n’est pas gratuit. Le défunt occasionne non seulement beaucoup de peine à ses proches, mais aussi des frais insoupçonnés et parfois des centaines d’heures de travail… bénévole. Constats et conseils.
On parle souvent des frais funéraires et de la complexité d’organiser des funérailles. Or, ce n’est que le début du parcours. Si bon nombre d’enfants insistent pour que leurs parents profitent de leur argent de leur vivant, ils devraient aussi insister pour qu’ils mettent leurs affaires en ordre. La liste des frais et des heures investies n’en finit plus.
La valeur des heures à vider la maison
Le plus bel héritage à léguer, c’est une maison en ordre. Sans le savoir, certains parents laissent l’équivalent de deux mois et demi de travail à temps complet à leurs héritiers… qu’ils aiment pourtant profondément.
Les experts consultés estiment qu’il faut compter 48 heures (3 personnes/2 jours) pour vider un bungalow bien rangé et 400 heures (5 personnes/10 jours) pour celui qui contient l’accumulation d’une vie entière.
En se basant sur le salaire moyen canadien de 2020, soit un taux horaire de 26 $ l’heure, les heures passées à vider une maison équivalent à 1248 $ dans le premier cas et à 10 400 $ dans le deuxième.
Le facteur émotif triplera le temps investi… Si bien que des descendants découragés finissent par vendre la maison en laissant aux nouveaux propriétaires la tâche de la vider.
« La semaine dernière, des gens nous ont appelés parce qu’ils avaient déjà passé une centaine d’heures en gang, frères et sœurs, et qu’ils n’avaient même pas terminé le rez-de-chaussée », raconte au bout du fil Marie-Christine Fortin, propriétaire d’Evolia, qui offre un service de tri, d’évaluation de biens et de ramassage dans le but de vendre ou de donner dans plusieurs régions du Québec.
Marie-Christine Fortin en a vu de toutes les couleurs depuis la création de son entreprise en 2010. Elle explique que les gens ont recours à ses services parce qu’ils sont fatigués, se rendent compte que la tâche est colossale et veulent passer à autre chose. Il y a des enfants uniques, des familles en conflit où un seul enfant se farcit le travail et d’autres où l’on doit s’occuper d’un parent malade.
Puis, il y a les liquidateurs qui ne veulent pas faire d’erreurs.
« Quand notre équipe arrive, on repère les objets de valeur. Une table en teck, une lampe, une sculpture signée. Souvent, il y a des objets que les gens avaient prévu de donner.» Marie-Christine Fortin, propriétaire d’Evolia
Le but du service est que la succession fasse de l’argent et paye une partie des frais du ramassage qui varient en général de 500 $ à 2500 $, mais peuvent atteindre 10 000 $ pour la propriété d’un grand accumulateur.
Coûts des services particuliers
« Faites venir un conteneur ! », conseillent tous ces amis qui veulent vous aider dans cette tâche de ménage extrême reçue en héritage.
Après avoir vendu ou donné à des organismes les meubles, les électroménagers, les articles de sport et les vêtements, apporté à l’écocentre les téléviseurs cathodiques et ordinateurs vintage, puis mis finalement au recyclage les Reader’s Digest de 1980, il reste des rebuts ?
Un conteneur de 40 verges cubes coûte en moyenne 800 $ pour deux semaines. Si vos dévoués amis et vous n’êtes disponibles que les week-ends, le vidage de la propriété s’étirera sur plusieurs semaines. Vous devrez donc ajouter de 5 $ à 15 $ par journée supplémentaire. Pour deux mois, comptez environ 1250 $.
Seul devant la tâche titanesque, vous optez pour la solution rapide d’une entreprise de vidage express sans triage ? Les prix commencent à 150 $ pour un contenu équivalant à la taille d’un frigo. Ils grimpent à 700 $ pour le contenu d’un camion de déménagement de 14 verges cubes.
Des documents avec des informations sensibles doivent être déchiquetés, et la petite déchiqueteuse maison surchauffe ? En général, il faut débourser 1 $ la livre pour un service de déchiquetage professionnel. À titre indicatif, une boîte de papier d’imprimante pèse environ 20 lb. Dix boîtes de papier à déchiqueter coûtent 200 $. Les prix baissent lorsqu’il y a un plus grand volume, soit 1000 $ pour 200 boîtes.
Si la succession est à petit budget, pensez au réseau Centre de formation en entreprise et récupération (CFER) et à ses trois écoles-entreprises spécialisées dans le déchiquetage de documents confidentiels : le CFER des Aviateurs de Mont-Joli, le CFER Deux-Montagnes et le CFER Jacques-Ouellette à Longueuil. Les documents apportés à Longueuil (uniquement sur rendez-vous) seront traités par de jeunes élèves aveugles et malvoyants de 4 à 21 ans, explique au téléphone l’enseignante Maryse Théberge. Faire déchiqueter le contenu d’une boîte de papier 15 x 12 x 10 coûte 5 $.
Tous les frais de notaire et autres
Comme pour les services d’un garagiste ou d’un dentiste, il est possible d’avoir un réel coup de cœur pour son notaire ou le sentiment d’avoir été arnaqué. Les prix varient énormément d’un endroit à l’autre.
Une entente verbale au sujet des prix et des tâches à accomplir est risquée, comme en témoignent certains lecteurs (voir la chronique de Marie-Eve Fournier à l’écran suivant) et des cas rapportés devant la cour. Il est préférable de demander les montants et les actes par courriel ou sur papier.
La première somme à débourser est souvent pour la recherche testamentaire, qui varie de 290 $ à 450 $ selon les notaires.
« Il s’agit d’un élément sur lequel les gens peuvent économiser des frais », affirme au téléphone l’actuaire de formation et planificateur financier Dany Provost, auteur du livre As-tu réglé ça ? « Les notaires ne m’aimeront pas, mais on peut faire soi-même en ligne une demande de recherche de testament auprès du Barreau du Québec pour 17,25 $ [taxes incluses] et l’autre demande à la Chambre des notaires du Québec pour 23 $ [taxes incluses], pour un total de 40,25 $. »
Le défunt a fait un testament holographe pour épargner de l’argent ? Les héritiers devront payer plus de 1000 $ pour le faire valider par un tribunal ou un notaire. Alors que le testament notarié coûte de 250 $ à 500 $.
Pour renoncer à la charge de liquidateur et enregistrer un nouveau liquidateur, comptez 500 $.
Vous souhaitez inscrire vous-même au Registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM) la désignation d’un liquidateur de la succession, le remplacement d’un liquidateur de la succession, la clôture d’inventaire et la clôture du compte du liquidateur ? Il faudra payer 51 $ pour chacun de ces quatre droits.
Si la succession est déficitaire, il faudra payer 800 $ pour l’acte obligatoirement notarié de renonciation. La personne morte possède des biens immobiliers ? La déclaration de transmission aux héritiers ou à la succession coûte de 500 $ à 1000 $.
À noter qu’il n’y a pas de frais pour l’ouverture et la fermeture d’un compte bancaire de succession chez BMO, à la Banque Nationale, à la Banque TD et à la Banque Scotia, tandis que Desjardins fait payer 50 $ et 100 $ s’il y a détention de placements enregistrés (CELI, REER, REEE, FERR, CRI).
Les heures de travail du liquidateur
Le défunt voulait faire une fleur à son enfant bien organisé en le nommant liquidateur… « C’est plutôt le pot qu’il reçoit », affirme Dany Provost, qui détaille les 39 étapes que le liquidateur aura à affronter dans son livre As-tu réglé ça ?
« Quand je reçois des clients qui sont liquidateurs, je leur demande : “Avez-vous un emploi à temps plein ?”, parce qu’une succession ne se règle pas le soir et les fins de semaine. » Michel Beauchamp, notaire spécialisé en succession et chargé de cours à la faculté de droit de l’Université de Montréal
Formulaires à remplir, appels et rappels, gestion de courrier… Michel Beauchamp parle de la complexité de fermer un compte d’Hydro-Québec, de Vidéotron ou de Bell. « Est-ce qu’il faut rapporter les appareils ou bien papa les avait achetés ? », illustre-t-il. Sans compter les heures d’attente au téléphone avec les différents intervenants des gouvernements et institutions financières.
Parce qu’en 2021, les Québécois n’ont rarement qu’un seul compte bancaire.
« Vous avez deux régimes de retraite différents, des REER dans une institution financière, l’hypothèque dans une autre, des REER au Fonds de solidarité, des placements avec un conseiller privé, etc. Tous ces intervenants ont des règles différentes, ce qui fait que c’est un travail à temps complet. »
Le liquidateur aura la charge mentale de la succession pendant plus d’un an. Il investira au moins 20 heures pour une succession très simple (aucun bien, loyer en CHSLD, un seul compte de banque) et de 300 à 400 heures pour une succession plus compliquée.
Parfois, la complexité n’arrive pas là où on l’attendait. « Il y a toujours une petite composante problématique familiale qui fait augmenter le nombre d’heures. »
Comme la grogne lorsqu’un enfant veut vendre le chalet et l’autre pas, les surprises successorales du père qui ne payait pas ses impôts ou la pression des héritiers pour que le liquidateur libère l’argent au plus vite. « Tant que le liquidateur n’a pas reçu le OK pour remettre l’argent aux héritiers, tant qu’il n’a pas reçu les certificats de décharge fiscale, le liquidateur est personnellement responsable des dettes fiscales », rappelle Michel Beauchamp.
Temps et frais pour les titres d’action
Votre père s’amusait à acheter des actions depuis 1981. Tout à coup, vous découvrez que les actions de cette entreprise canadienne valent aujourd’hui… 500 $. La fin n’est certes pas comme dans les films.
Considérant les frais de dossier ou de vente d’actions, qui peuvent s’élever jusqu’à 200 $, vous devez déterminer si chercher pendant deux jours le certificat d’action datant de 1981 vaut la peine. À moins d’en faire émettre un nouveau pour un minimum de 35 $ ou 3,5 % du montant des actions.
Une fois ce premier exercice de patience réussi, la suite du processus en exigera tout autant : attente au téléphone, formulaires à remplir, documents à faire authentifier en personne par l’étampe d’une institution financière, ouverture d’un compte de courtage en ligne de succession. Du premier appel jusqu’à la vente des actions, plusieurs semaines se seront écoulées.
Quatre cadeaux à léguer
Le plus bel héritage à laisser aux enfants, c’est sûrement de bien préparer sa succession, estiment les experts que La Presse a consultés.
Commencez le tri avant de mourir
« On voit des cas de parents qui disent : “Mon enfant fera venir un conteneur et jettera tout à mon décès.” Mais pour un enfant, ce n’est pas quelque chose qui se fait, de jeter sans regarder les souvenirs et les objets qui appartiennent aux parents », observe Marie-Christine Fortin, propriétaire d’Evolia, qui offre un service de tri, d’évaluation de biens et de ramassage.
L’experte suggère de commencer à trier, à épurer et à sortir des objets de la maison de son vivant.
Elle conseille aussi d’avoir une liste à jour des objets de valeur, d’en indiquer la date d’achat, le prix et les entreprises intéressées à les racheter. « On veut éviter que les enfants les vendent pour des montants dérisoires ou les jettent. »
Rassemblez vos papiers
Mettez de l’ordre dans vos papiers pour faire gagner du temps à ceux que vous aimez, dont le liquidateur, suggère Dany Provost, actuaire de formation et planificateur financier, qui explique dans son livre comment préparer son propre décès.
« Je suggère de regrouper toutes les informations au même endroit, soit dans un tiroir avec une combinaison ou verrouillé avec une clé, ou encore dans un fichier qui requiert un mot de passe à l’ouverture. » Dany Provost, actuaire de formation et planificateur financier
Rassemblez les comptes de banque, les polices d’assurance vie, les régimes de retraite, les déclarations de revenus, les certificats de naissance, le contrat de mariage, les préarrangements funéraires, les coordonnées du propriétaire de votre logement, etc.
« Il est important de donner le maximum d’information non seulement au liquidateur, mais aussi à vos proches et au conjoint », précise Dany Provost.
Lisez notre article « Gérer sa paperasse comme un pro »
Faites des listes
C’est ce que suggère Catherine Rahal avec son livre Vous aimez vos proches ? Laissez-leur des listes ! La planificatrice financière propose ce guide pour aider les gens à compiler des listes d’information dont les liquidateurs et les proches auront besoin.
Le genre de renseignements qu’on doit donner lorsqu’on inscrit un enfant dans un camp de vacances ou qu’on accompagne un parent dans son entrée en CHSLD. Des renseignements qui semblent à première vue banals, mais qui seront après votre départ fort utiles : coordonnées de vos proches et amis, de vos spécialistes de la santé et de vos finances, liste de vos actifs et dettes, de vos adresses courriel, comptes de réseaux sociaux et comment retrouver tous vos mots de passe.
Rémunérez votre liquidateur
« S’il n’est pas l’un de vos héritiers, le liquidateur a droit à une rémunération. Si vous n’avez pas prévu cette rémunération, ce sont les héritiers qui devront la déterminer », explique le site du ministère de la Justice. La rémunération du liquidateur est imposable.
« Si le liquidateur fait partie de vos héritiers, il ne peut pas exiger une rémunération, mais vous pouvez toutefois en prévoir une pour lui, dans votre testament. Vos héritiers peuvent aussi se mettre d’accord pour lui en verser une », précise le ministère de la Justice.